En juin 2024, plusieurs chercheurs du département des sciences en santé environnementale (DEESSE) de l’EHESP et de l’Irset ont publié, avec des partenaires et collaborateurs de France Exposome, l’article Assessing the contribution of the chemical exposome to neurodegenerative disease dans la prestigieuse revue internationale Nature Neuroscience. Ils se sont appuyés sur de nombreuses données disponibles dans différentes études, pour évaluer la contribution de l’exposome chimique aux maladies neurodégénératives. En quoi l’exposome chimique peut-il être lié à l’apparition de la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson ? Éléments de réponse dans cette synthèse de la publication scientifique.
Qu’est-ce que l’exposome chimique ?
L’exploration du génome a permis de réaliser des progrès remarquables pour comprendre l’implication des facteurs génétiques dans la survenue des maladies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington, ou encore la sclérose latérale amyotrophique. Pourtant, nous savons que l’histoire est incomplète, puisque des facteurs non génétiques tels que l’alimentation, l’activité physique et l’exposition aux substances chimiques peuvent contribuer à l’apparition, à la progression, à la gravité et à la réactivité au traitement. L’ensemble des facteurs non-génétique auxquels nous sommes exposés tout au long de notre vie (y compris pendant la période prénatale) est défini comme étant notre exposome. Celui-ci vient compléter notre génome, et l’émergence de ce concept offre de nouvelles perspectives tant que sur le point conceptuel que méthodologique, pour étudier d’une façon bien plus exhaustive l’influence des facteurs environnementaux dans la survenue de ces maladies.
Établir des liens entre polluants et maladies neurodégénératives
Cet article de revue s’intéresse aux contaminants chimiques présents dans notre environnement (air, nourriture, eau, etc.), et propose un état des lieux de leur implication dans le développement des maladies neurodégénératives. Nous passons en revue l’ensemble des données épidémiologiques et expérimentales actuelles (plus de 400 articles) étudiant les liens existants entre les expositions aux contaminants chimiques et les deux principales maladies neurodégénératives liées à l’âge, la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson, ainsi que leurs mécanismes d’action. Nous nous concentrons sur les polluants qui résultent principalement des activités anthropiques (e.g., pesticides, solvants, plastifiants, additifs alimentaires…).
Si des liens entre expositions professionnelles à certaines familles d’insecticides et la maladie de Parkinson ont pu être mises en évidence, les recherches épidémiologiques en population générale restent encore limitées et insuffisantes pour mettre en évidence de telles associations. En population générale, les preuves épidémiologiques les plus solides ont été obtenues, jusqu’à présent, pour les expositions aux particules fines (PM2,5) présentes dans l’air ambiant extérieur. Pourtant, des études expérimentales in vitro et in vivo ont déjà démontré la vulnérabilité du cerveau à l’exposition (y compris durant la période prénatale) à certains métaux, solvants et pesticides. Pour toutes ces substances chimiques, les voies neurotoxiques générales les plus étudiées sont le stress oxydatif, le dysfonctionnement mitochondrial et la perturbation de la neurotransmission. Toutefois, des mécanismes biologiques plus spécifiques aux maladies neurodégénératives (par exemple l’accumulation de protéines sous une forme agrégée dans le système nerveux) ont également été mises en évidence pour certains substances chimiques.
Une voie à explorer : les approches dites « non-ciblées » par spectrométrie de masse à haute résolution
Nous avons identifié certaines des lacunes de la recherche dans ce domaine, comme par exemple : le peu de contaminants étudiés, la difficulté d’extrapoler les résultats obtenus avec les modèles expérimentaux à l’humain, ou encore le besoin de développer des modèles de toxicologie prédictive. Nous formulons donc une feuille de route pour les études de nouvelle génération et explorons comment les progrès de la spectrométrie de masse à haute résolution (HRMS) permettent de générer des données plus exhaustives sur l’exposome chimique (l’analyse systématique des facteurs environnementaux d’origine chimique) pour compléter les données génomiques afin de mieux comprendre les maladies neurodégénératives. Bien que certaines limites techniques et méthodologiques restent encore à surmonter, les premières études pilotes reposant sur la HRMS commencent à démontrer leur efficacité pour identifier de nouveaux contaminants (e.g., certaines phtalates utilisés comme plastifiant) chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
Les défis de la recherche sur les maladies neurodégénératives
Les recherches en exposomique sur le front des pathologies neurodégénératives sont en retard comparativement à d’autres domaines comme ceux des cancers. Cela peut être en raison du fait que ces maladies posent des défis très spécifiques : l’un des plus grands défis de la recherche est certainement le long délai du développement de la maladie. Alors que le développement neurologique des maladies survient tôt dans la vie, la fenêtre de recherche entre les expositions et le diagnostic est relativement restreint. Bien que nous mettons l’accent sur les contaminants chimiques ici, il est aussi important de noter que les facteurs sociaux et comportementaux jouent également un rôle clé dans la neurodégénérescence.
Pour le développement d’études systématiques de l’exposome
Au final, nous anticipons que la mise en place de démarche systématique analogue à celle des étude d’association pangénomique (genome-wide association studies) reposant les méthodologies HRMS aura le potentiel d’identifier de nouveaux facteurs chimiques impliqués dans la neurodégénérescence, et ainsi d’identifier de nouvelles approches de prévention et de traitement de ces maladies.
Les travaux dont sont issus la publication ont reçu le soutien de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM), AXA France mécénat, Fondation de France, France Alzheimer et France Exposome.
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